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Blog d'un obscur auteur asperger amateur atteint de graphorrhée où on rencontre des jeunes filles fuligineuses, des nains de jardin érudits, des clavecinistes asociaux et des Gainsbourg uchroniques...

Ciel de Suie - Chapitre 12 (deuxième partie) - Le pervers polyphonique

Quand la musique cessa, Ennio et Claudia applaudirent à tout rompre.

« Après avoir entendu cela, je ne m’étonne plus que Legato et Staccato veuillent vous arrêter ! dit Ennio encore enivré par la musique malacologique.

_ … Et qu’une mercenaire et une magicienne veuillent la tuer ! poursuivit Claudia, tout aussi enchantée.

_ Mais ce n’est qu’un murex musical ! objecta Sophie Freux de la Fuligineuse.

_ … Qui est la preuve de l’existence de la mère de toutes les musiques ! fit Claudia.

_ … Et qui pourrait être la perte de nos deux ridicules régents ! fit Ennio.

_ Tant de choses dans si peu de notes ! conclut avec une certaine ironie la jeune cacoxénienne.

_ Ne riez pas, mademoiselle de la Fuligineuse ! Ces quelques notes pourraient suffire à réveiller tous les partisans endormis de Gwladys Dièse de la Mélique, la mère de toutes les musiques ! s’exclama le luthochimiste.

_ … Et à inquiéter certaines personnes dont nous ne connaissons pas encore l’identité ! continua Claudia.

_ Tu veux sans doute faire référence à cette magicienne et à cette mercenaire, Claudia ?

_ Quelle perspicacité Ennio ! Tu ne cesseras jamais de m’étonner ! Mais oui, je fais effectivement allusion à ces deux personnes ! D’ailleurs, la magicienne, une certaine Elisabeth des Bécarres…»

Claudia da Capo n’eut pas le temps d’aller au bout de sa phrase car elle fut brutalement interrompue par un son énorme qui emplit tout l’espace disponible et qui résonna au plus profond du corps et de l’âme de chacun.

Elle était atterrée.

Ennio, lui, en fit tomber son monocle.

Quant à Sophie Freux de la Fuligineuse, elle profita du tumulte pour ranger son précieux murex.

« Mais… Mais c’est le Carillon Cornu ! Pourquoi sonne-t-il ? hurla, effaré, le vieux luthochimiste.

_ Ce sont mes oncles qui veulent faire savoir au peuple de Philomèle qu’ils ont trouvé le moyen de venir à bout du fléau qui nous frappe ! hurla de même Claudia.

_ Vraiment ? Et comment vont-ils s’y prendre ?

_ Justement, cette Elisabeth des Bécarres dont j’allais te parler…

_ … Tu veux dire que cette magicienne prétend pouvoir faire disparaître ce qu’aucun de nos experts n’a réussi ne serait-ce qu’à entamer ?! D’ailleurs, moi-même, je m’y suis essayé, sans grand succès, et…

_ Oui ? Elle le prétend ! coupa sèchement Claudia. Elle a même fait une démonstration de ses pouvoirs à Legato et à Staccato. Du moins, c’est ce qu’ils racontent !

_ Une démonstration ?! Soit cette femme est une mystificatrice de première force, soit…

_ Soit…

_ … Soit cette femme est dangereuse !

_ Je ne suis pas loin de partager le même avis !

_ Et pourquoi en veut-elle à notre magnifique cacoxénienne ? reprit Ennio sur un ton bouffon qui parvenait à masquer son inquiétude.

_ Elle a juste dit à mes oncles qu’il valait mieux qu’ils se méfient d’elle ! répondit Claudia.

_ Ah… ! Si elle a dit cela, c’est tout à fait différent ! »

La claviériste, en entendant les paroles de son ami, se mit à le regarder avec étonnement, puis, presque en colère elle lui demanda :

« Explique-toi !

_ Il n’y a rien à expliquer, ou si peu… reprit le rusé luthochimiste. Même si elle a mis en garde Legato et Staccato contre notre cacoxénienne, ça ne signifie pas pour autant qu’elle lui en veuille personnellement !

_ Ce n’est pas faux ! fit Claudia à moitié convaincue.

_ … De plus, si elle leur conseille de se protéger de Sophie Freux de la Fuligineuse, c’est qu’elle lui reconnaît certains pouvoirs magiques… !

_ En effet, c’est plus ou moins ce qu’elle leur a dit… !

_ … Et si elle lui reconnaît certains pouvoirs magiques, cela veut dire qu’elle sait qu’elle possède quelque chose comme un murex musical… !

_ … Qui appartient à la mère de toutes les musiques, ce qui peut laisser supposer que cette Elisabeth des Bécarres pourrait la connaître… ! poursuivit avec exaltation Claudia.

_ … Ou être à son service ! » conclut avec non moins d’exaltation Ennio Crescendo.

A bien y réfléchir, c’était une hypothèse parfaitement plausible.

Qu’Elisabeth des Bécarres prévienne les deux régents du danger potentiel que pouvait représenter Sophie Freux de la Fuligineuse ne voulait pas forcément dire qu’elle lui était hostile.

Après tout, cette magicienne ne paraissait pas vouloir autre chose qu’une rémunération conséquente.

Elle n’avait aucun intérêt à prendre parti.

Le danger était-il écarté pour autant ?

Sûrement pas !

Il restait à éclaircir le mystère de la mercenaire.

« Et pour ce qui est de cette mercenaire ? demanda le luthochimiste.

_ Elle semble beaucoup plus belliqueuse !

_ C’est-à-dire…

_ … Qu’elle n’hésiterait pas à tuer notre cacoxénienne si l’occasion se présentait ! »

Ennio crescendo se tourna vers Sophie Freux de la Fuligineuse :

« Vous avez eu beaucoup de chance de rencontrer Claudia, mademoiselle de la Fuligineuse ! Si cela n’avait pas été le cas, Lorenzo Legato et Stefano Staccato vous auraient sûrement tuée à l’heure qu’il est ! Pas de leurs propres mains, bien sûr, mais…

_ … Par l’intermédiaire de cette mercenaire ! continua la virtuose des claviers.

_ … Qui semble, tout comme cette magicienne, très bien renseignée sur votre compte ! ajouta le vieux savant en continuant à regarder Sophie Freux de la Fuligineuse.

_ Mais je doute qu’elle soit au service de cette folle enfumée de… De Gwladys Dièse de la Mélique, je veux dire… !

_ Oh, mais vous connaissez assez bien notre déesse, apparemment ! dit Ennio à la six-cordiste avec une lueur de connivence dans les yeux.

_ Vous aussi vous devez bien la connaître, pour pouvoir me faire ce genre d’allusion ! répondit Sophie.

_ On ne peut rien vous cacher ! En effet, je l’ai déjà rencontrée.

_ Je vois… Je vois… »

La jeune fille de suie marqua un temps d’arrêt.

A en juger par son expression, quelque chose la tracassait.

Le luthochimiste s’en était assez rapidement aperçu :

« Quelque chose d’autre vous préoccupe, mademoiselle de la Fuligineuse ?

_ Oui ! répondit l’intéressée avec un laconisme bien dans sa manière.

_ Ah bon ? Et pourrait-on savoir ce que c’est ? demanda un Ennio Crescendo à nouveau en proie au démon de l’inquiétude.

_ Ce n’est qu’une question !

_ Allez-y toujours !

_ Eh bien, je me demandais en quoi le fait de me réfugier dans votre maison me mettait à l’abri de Lorenzo Legato et de Stefano Staccato, étant donné qu’ils me surveillent en permanence et qu’ils se feront un plaisir de m’arrêter une fois que Claudia da Capo aura le dos tourné et…

_ Ah, ce n’est que ça ? Hé bien…

_ … C’est très simple, Ennio Crescendo était un des meilleurs amis de mon défunt père et à cause de cela, ou plutôt grâce à cela, s’attaquer à lui revient à s’attaquer à moi ! De plus, vous êtes plus en sécurité ici qu’au palais philomélien, et ce, malgré la réputation de pervers polyphonique d’Ennio ! résuma Claudia en interrompant à nouveau le vieux savant.

_ Ah… Hum… Oui, c’est juste… ! fit ce dernier avec embarras. Personne n’osera venir vous chercher des crosses chez moi ! Les oncles de Claudia me doivent bien trop de choses, même s’ils ne veulent pas le reconnaître ! Soyez la bienvenue chez moi, Sophie Freux de la fuligineuse !

_ Et essaie de te tenir tranquille Ennio, sinon…

_ Sinon quoi ? protesta d’un ton faussement courroucé l’intéressé.

_ Sinon vous vous en mordrez les doigts ! S’il vous en reste… » répondit Sophie Freux de la Fuligineuse avec un sérieux de psychopathe.

Ennio se figea en entendant les paroles de la jeune fille.

Avait-elle dit cela pour plaisanter ?

Pour s’en assurer, il regarda la cacoxénienne au fond des yeux.

Un millième de secondes après, il y trouvait quelques tonnes de détermination inébranlable, c’est-à-dire largement assez pour envoyer sa libido battre la campagne.

Claudia da Capo l’avait repris de nombreuses fois sur sa conduite envers l’autre sexe : il avait toujours ri et n’en avait jamais vraiment tenu compte.

Mais, maintenant, il comprenait.

Sophie Freux de la Fuligineuse n’était pas le genre de femme qu’on pouvait prendre pour un petit animal sympathique, agressif mais inoffensif, et qu’on était sûr de pouvoir dompter parce qu’on se sentait le plus fort.

Il n’y avait aucun espoir que cela puisse marcher avec elle.

Non.

Sophie Freux de la Fuligineuse était plutôt le genre de femme à avoir la rage chevillée au corps et au cœur.

Une rage plus grande qu’elle-même, une rage en perpétuelle expansion qui surpassait toutes les hormones et tous les muscles du monde.

Ennio, le pervers polyphonique, se rendit compte qu’il n’était pas de taille.

Qui aurait pu lutter ?

Même des phallus musicaux et lampyrotechniques comme Pierre Corneille de la Crave et Charles Cros de la Ravenne n’avaient rien pu faire.

Ils avaient du s’adapter à la dangereuse six-cordiste.

Alors un vieux vert comme lui…

Ennio Crescendo, le luthochimiste, se contenterait d’héberger la jeune cacoxénienne.

Rien de plus.

Rien de moins.

Claudia da Capo fut également surprise par la cinglante réplique de l’étrangère. Elle aussi resta figée un moment.

Puis, elle éclata de rire, et ce, tant et si bien, qu’elle faillit une nouvelle fois perdre l’équilibre et tomber par terre. Enfin, elle reprit :

« Eh bien, Ennio, je crois que tu as trouvé celle qui va te faire changer d’avis sur les femmes … Pour ton plus grand malheur !

_ Euh… Oui… Je crois qu’il va falloir que je me maîtrise si je veux encore vivre quelques années de plus ! » fit le vieil homme encore passablement effrayé.

Sophie Freux de la Fuligineuse ne dit rien mais hocha la tête d’un air satisfait.

Le message était passé.

Claudia da Capo, quant à elle conclut la scène avec les mots suivants :

« Malgré les apparences, je pense que vous êtes ici en sécurité, mademoiselle de la Fuligineuse !

_ Sophie suffira amplement ! » ajouta la cacoxénienne comme on ajoute une pincée de zéro absolu dans un feu de joie.

La claviériste philomélienne demeura aussi stupéfaite que désarçonnée.

C’était au tour d’Ennio Crescendo de rire.

Et la jeune fille de suie d’ajouter :

« Et moi, pourrais-je vous appeler Claudia, au risque de paraître vulgaire ?

_ Euh… Oui…Oui… Bien sûr ! Je crois, en effet, qu’il est inutile de rester aussi cérémonieux plus longtemps ! »

Sophie Freux de la Fuligineuse hocha à nouveau la tête.

« Bien. Je peux donc vous laisser avec ce bon vieux Ennio sans craindre qu’il vous arrive malheur. Je suis sûre que vous avez encore beaucoup de questions à lui poser et lui beaucoup d’histoires à vous raconter. Pour ma part, je m’en retourne au palais afin d’en savoir un peu plus sur cette magicienne et sur cette mercenaire. Au revoir ! »

A nouveau, Claudia da Capo ne put aller plus loin, car, à nouveau, le Carillon Cornu retentit.

Mais cette fois-là, le brouhaha de la foule s’ajouta au bruit infernal de la cloche.

Lorenzo Legato et Stefano Staccato avaient fini leur harangue.

Les applaudissements et les éclats de voix fusaient.

Le peuple philomélien semblait conquis.

La rumeur eut tôt fait d’arriver aux oreilles du musical et dissident trio : Elisabeth des Bécarres débarrasserait l’Archipel de Philomèle de sa vérole dorée d’ici une semaine lors d’une cérémonie sans précédent.

« Il n’y a pas de temps à perdre ! » dit Claudia.

Ennio et Sophie ne lui dirent pas le contraire.

Après avoir pris congé de ses compagnons, la jeune fille aux cheveux roux disparut dans le désordre de la foule et dans le bruit du carillon Cornu.

Sophie Freux de la Fuligineuse pensa que la semaine serait longue.

Ciel de Suie - Chapitre 12 (deuxième partie) - Le pervers polyphonique
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